La democratie de la fermentation

Pourquoi, en tant que Japonaise, je fais du miso de châtaignes plutôt que du miso à base de soja ?
Pour la démocratie de la fermentation ! J’aimerais en effet que beaucoup de gens essaient de faire du miso, et de châtaignes en particulier.

Vivant en Ariège, sur un terrain de 1,5 ha, en pente, plutôt ombragé, au cœur d’une belle forêt de châtaigniers plantés autrefois, j’ai réfléchi à ce que je pouvais y produire.

On sait  que pour une agriculture utilisant des pesticides, il faut plus de 1000 m² de terrain pour récolter 60 kg de soja et en culture biologique, cela pourrait bien être deux fois plus. Il serait donc nécessaire d’acquérir au moins le double de terrain pour mettre en place une petite production. D’autant qu’il devrait être diversifié, car la monoculture exerce une forte pression sur les terres. Cela n’est donc pas réaliste sur les miennes. 

Pourtant cette forêt avec un sol acide, pas très exposée ressemble à une grande partie des régions montagneuses du Japon. Au vue des similitudes j’ai commencé par me demander de savoir si les produits à base de soja, qui sont largement consommés au Japon, peuvent être produits ici de manière locale ?

Après avoir fait quelques recherches sur mon pays d’origine, le résultat n’a d’abord pas été encourageant. Par exemple, le Japon n’a pas une production de soja auto-suffisante, le taux n’étant que de 6%. Le reste est importé des États-Unis, du Brésil et d’autres pays. La consommation de soja au Japon dépasse donc la capacité des terres et du climat japonais.
Aussi dans le monde 8,2 millions d’hectares ont été déforestés pour la culture du soja entre 2000 et 2015, dont 97 % en Amérique du Sud. Dans cette région, la plupart des conversions directes en agriculture de soja (définies comme tel dans les trois ans suivant le défrichement de la forêt) ont lieu dans le Cerrado brésilien et l’Amazonie brésilienne. (French national strategy to combat imported deforestation)

Au vue des diverses informations recueillies sur le soja, je me suis naturellement demandée ce qu’il en est des châtaignes qui poussent généreusement devant chez moi ? 

Et après une autre enquête sur le Japon, j’ai appris qu’autrefois, dans la région de Kyushu, dans le sud, on fabriquait du miso de châtaignes. Mais la recette était connue seulement des grands-mères et n’était pas diffusée sur Internet! Quand bien même certains là-bas disent que les châtaignes, riches en sucre, manquent de protéines nécessaires pour faire du miso, c’est parce ce que les châtaignes japonaises semblent avoir été modifiées au fil du temps pour obtenir des variétés sucrées destinées à la production de confiseries, cela m’a parut faisable et je me suis mise à vouloir tenter l’expérience du miso de chataîgnes.

En France, la châtaigne est encore principalement transformée en farine et en ‘crème de marrons’. Celle-ci contient toujours de grandes quantités de sucre, denrée provenant de pays lointains, dont on sait qu’il faudrait limiter l’importation et la consommation. Celle sans sucre ajouté devient de plus en plus courante toutefois. 

Dans les Pyrénées, où je me trouve et où la surface cultivée pour le blé est plutôt limitée, il est assez courant de recourir à la châtaigne et de faire du pain avec sa farine. De nombreuses variétés de châtaignes, riches en protéines et pauvres en sucre, proches des variétés sauvages, ont été préservées ainsi. Cependant les châtaignes sont manifestement plus riches en amidon que le soja, c’est pourquoi, durant les premiers essais en cuisine, j’ai utilisé du koji pour saké et travaillé à une température proche de celle utilisée pour la fabrication de cet alcool, afin de favoriser la dégradation de l’amidon plutôt que des protéines. J’ai également expérimenté en ajoutant la peau de châtaigne, dans l’espoir que les tanins ralentissent le processus enzymatique et réduisent l’acidité. Après plusieurs tentatives, le résultat a été un miso au goût que l’on pourrait qualifier de montagnard.

Je crois donc que la châtaigne française est parfaitement adaptée à la fabrication de miso et avec l’utilisation du riz de Camargue et du sel d’Atlantique, on peut obtenir un miso 100% français avec une empreinte carbone relativement réduite. 

Changeons ainsi nos habitudes, libérons nous de la dépendance au sucre, évitons les produits type pâte à tartiner industrielle et remplaçons les par du miso de châtaignes au petit déjeuner! Cela permettra entre autres de mieux dormir la nuit, d’améliorer notre santé intestinale grâce au sucre produit par la fermentation, l’oligolactose, qui nourrit bien les bactéries intestinales.

Enfin je crois que la fermentation doit être démocratique. C’est un principe qui m’a été transmis par une femme en Algarve au sud du Portugal. Elle offre son savoir-faire de la fabrication de pain avec du levain naturel. Il s’agit de faire fermenter avec des micro-organismes locaux les produits de la terre pour proposer une alimentation quotidienne saine et raisonable. Cette simplicité dotée de radicalité devient un symbole de partage et de force pour une indépendance politique. 

Adhérent à cette idée je ne souhaite pas non plus que le miso de châtaignes devienne quelque chose m’appartenant exclusivement. J’aimerais en fait que beaucoup de gens essaient de le produire eux-mêmes. Je pense que ce serait vraiment intéressant si, en utilisant au mieux toute la diversité environnementale de la France et les variétés de châtaignes, différentes sortes de miso de châtaignes voient le jour dans plusieurs régions, à l’instar du vin ou du fromage !